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L’honnêteté est une question de confiance et non de faits

26-juin-2023

Keith Sones

Lorsque vous endommagez un camion-benne, c’est une expérience assez traumatisante. Vous ne voulez surtout pas qu’on le crie sur tous les toits et vous pourriez même être tenté de mentir à ce sujet. Mais je suis peut-être le seul à le penser.

Oui, vous avez bien lu. J’ai endommagé un camion-benne. Je ne l’ai pas embouti, je ne l’ai pas renversé, je ne l’ai pas laissé dévaler une pente et je ne l’ai pas reculé contre quelque chose. En réalité, il était immobile à ce moment-là. Mais je l’ai quand même endommagé. C’est encore plus facile que vous ne pouvez le penser.

J’avais 18 ou 19 ans et je travaillais pour le service d’entretien de la commission scolaire locale. Ce n’était pas un travail particulièrement exigeant, mais c’était bien payé et j’avais besoin d’argent pour la prochaine année scolaire. Je passais mes journées à tondre le gazon dans diverses écoles, à livrer des caisses de papier, à faire de l’aménagement paysager et à effectuer d’autres menus travaux d’entretien. J’étais l’un des rares à avoir un permis de conduire valide pour conduire le camion-benne, alors de temps en temps, on m’envoyait chercher de la terre ou du gravier. La plupart du temps, je devais tirer une grande remorque équipée d’un chargeur pour remplir le camion-benne. Chaque matin, une série d’événements se succédaient : soulever la benne du camion pour évacuer l’eau de pluie ou les débris, puis la rabaisser; installer le lourd dispositif d’attelage de la remorque sur le camion; reculer pour atteler la remorque; mettre le chargeur sur la remorque puis le fixer à l’aide de plusieurs chaînes. Le soir, répétit les mêmes opérations en sens inverse. Telle était la chronologie des tâches à effectuer. À chaque fois. Aucun changement possible.

C’était un vendredi après-midi et j’étais en retard. Lorsque je suis arrivé à l’atelier, la fatigue s’était emparée de mon corps, mais mon esprit était déjà prêt pour la fin de semaine. La perspective de passer du temps avec des amis, de nager dans le lac et de jouer au baseball occupait mes pensées. Tout cela était bien plus intéressant que de se concentrer sur les opérations de rangement du camion et de la remorque que j’avais déjà effectuées à maintes reprises auparavant. Toujours préoccupé par l’anticipation des prochaines 48 heures, j’ai reculé le camion, sorti le chargeur, stationné et dételé la remorque, ramené le camion à son stationnement réservé, puis actionné rapidement les commandes hydrauliques pour soulever la benne, car je voulais qu’elle soit propre pour la semaine suivante.

J’étais à mi-chemin lorsque j’ai entendu un grincement. Croyant qu’il s’agissait d’une charnière qui manquait de graisse, j’ai gardé les mains sur les commandes et la benne a poursuivi son ascension. Ce n’est que lorsque tout le véhicule s’est mis à vibrer que mon esprit est revenu brusquement à la réalité. J’ai instantanément arrêté la benne, retiré mes mains des commandes et j’ai senti la panique m’envahir. J’ai procédé à un examen superficiel de l’unité, sachant d’instinct que le problème était survenu suite au soulèvement de la benne. Je ne voyais rien de particulier, alors et j’ai couru vers l’arrière du camion.

C’est alors que j’ai vu la partie inférieure de la benne coincée contre le solide attelage de la remorque qui était boulonné directement au châssis du camion. L’attelage que j’avais oublié de retirer parce que je pensais aux festivités de la fin de semaine. J’ai immédiatement voulu tout réparer ou, mieux encore, revenir cinq minutes en arrière et recommencer. Mais aucune de ces options n’était envisageable et, dans un accès de folie, j’ai jugé qu’il était préférable de dissimuler le problème selon les règles de l’art. En vitesse (et avec beaucoup de difficultés), j’ai réussi à enlever l’attelage de la remorque et à le ranger à sa place, puis j’ai évalué les dégâts. Tout ce que j’ai remarqué, c’est un peu de peinture écaillée et une bosse

à la partie inférieure de la benne. Je me suis dit : « Ce n’est pas très grave. Je suis certain que personne ne le remarquera ». Apparemment, ma folie passagère était renforcée par des illusions tout aussi puissantes.

Lundi matin. La fin de semaine avait été un véritable fiasco, marquée par la crainte de représailles qui m’avaient torturé en permanence. Ce matin-là, mon patron Danny m’a chargé de tondre la pelouse d’une école primaire voisine, ce qui me convenait parfaitement. Je voulais quitter l’atelier le plus tôt possible.

J’avais déjà franchi le seuil de la porte lorsque Charlie, un éternel lève-tôt et opérateur régulier du camion, a fait irruption dans la pièce en disant : « Il y a un problème avec le camion-benne ».

J’étais pétrifié, j’avais envie de m’enfuir mais je ne pouvais pas bouger.

« Qu’est-ce qu’il y a? » a demandé Danny.

« Eh bien, la benne est bosselée et je n’arrive pas à installer l’attelage », a répondu Charlie.

Danny s’est retourné vers moi : « Keith, tu n’avais pas le camion vendredi? ».

« Euh, oui, je l’avais », ai-je balbutié.

« Quelque chose ne va pas? » poursuivit Danny.

« Non », ai-je marmonné.

Danny a demandé à Charlie : « Est-ce que quelqu’un l’a utilisé au cours de la fin de semaine? »

« Je ne pense pas. Le portail était verrouillé. »

« Hmm, c’est bizarre », dit Danny en se rendant à l’évidence. « S’il y a des dégâts, nous ferions mieux de l’amener à l’atelier de réparation et de nous assurer qu’il est en bon état ».

« Je m’en occupe », dit Charlie avant de disparaître.

Compte tenu de l’état de panique dans lequel je me trouvais, j’étais surpris d’être capable de démarrer le tracteur à gazon et encore moins de tondre la pelouse avec un tant soit peu de professionnalisme. Lorsqu’on m’a fait entrer dans le bureau pour m’annoncer que le châssis du camion était déformé, que cela allait coûter cher, que j’avais menti et que je méritais d’être congédié sur-le-champ, j’ai été étrangement soulagé. Je méritais d’être viré, mais au moins je n’avais plus à contenir et à perpétuer le mensonge. En fin de compte, ils m’ont laissé mon emploi, mais la honte m’habitait. Keith le menteur. Keith le gars qui ne peut pas respecter des consignes simples. Keith le gars qui détruit tout. Ils n’ont rien dit de tout cela. Ils n’avaient pas besoin de le faire, je m’en occupais moi-même.

Il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver à surmonter ce sentiment. La solution aurait dû être simple, mais j’imagine qu’il faut parfois en ressentir pleinement les effets avant d’en tirer des leçons. Passons rapidement à 1987. Je travaillais alors comme mécanicien dans une usine qui fabriquait des camions similaires à celui que j’avais endommagé. Nous avions tous travaillé pendant de longues heures et j’ai de nouveau été amené – cette fois avec une surprise totale – dans le bureau du contremaître et on m’a informé que j’avais oublié de remplir d’huile le différentiel d’un véhicule. Pour ceux qui ne comprennent pas le jargon des « camions », un différentiel est la pièce où l’arbre de transmission rencontre l’essieu; il s’agit d’une section volumineuse très importante truffée de pièces rotatives. Lors des essais finaux, le

différentiel s’est grippé (ce qui n’est pas une bonne chose). « Tu vois, c’est ton numéro de carte de pointage sur la fiche d’inspection ».

J’ai regardé la feuille qu’il tenait devant moi. « C’est mon numéro, mais pas mon écriture », ai-je rétorqué. Et c’était vrai. Je ne me souvenais même pas d’avoir travaillé sur ce véhicule qui avait une peinture spéciale unique en son genre dont je me serais souvenu. Ils ont ouvert une enquête et m’ont finalement innocenté. Quelqu’un d’autre avait écrit mon numéro sur la fiche. Volontairement? Par erreur? Je ne le saurai jamais puisqu’ils ne m’ont pas dit de qui il s’agissait. Mais je n’ai jamais oublié ce que cela m’avait fait d’être accusé de quelque chose dont je n’étais pas coupable. J’étais furieux d’avoir à me défendre. Fâché d’avoir, pour une raison ou une autre, une tache à mon dossier. Puis je me suis souvenu du jour où j’avais fait à peu près la même chose. J’avais menti pour me tirer d’affaire. J’avais piégé quelqu’un d’autre, sans savoir qui, pour lui faire porter le chapeau. Il n’y avait rien de positif dans tout cela.

Ce fut toutefois une bonne leçon, même si je me suis retrouvé coincé dans cette affaire. Lorsque j’étais enfant, il m’arrivait de mentir pour éviter d’avoir à assumer les conséquences de mes actes (« c’est sûrement ma sœur qui a mangé le dernier biscuit »), mais je n’avais pas une vision adulte du monde. Aujourd’hui, j’ai bien compris l’importance de l’honnêteté et à quel point le manque d’honnêteté pouvait blesser les gens, et surtout moi.

Des années plus tard, lorsque je travaillais pour une compagnie de services publics, j’avais la responsabilité d’identifier et de réserver des emplacements adéquats pour les postes électriques à haute tension et les lignes de transport d’électricité. Une partie de mon travail consistait à organiser des réunions publiques avec les résidents locaux pour leur faire part de nos projets et les informer sur la nature et les objectifs de nos travaux. Je me suis vite aperçu que la plupart des gens avaient des idées préconçues et très peu de connaissances sur les infrastructures électriques, il aurait donc pu être facile de leur faire miroiter des choses. J’aurais pu leur laisser croire que les installations et leur fonctionnement seraient plutôt banals et les laisser se plaindre une fois la construction terminée, sans qu’ils ne puissent y changer quoi que ce soit. Non seulement cette attitude est inacceptable, mais elle finit toujours par se retourner contre vous. L’honnêteté est une question de confiance et non de faits. Et si l’on ne peut pas vous faire confiance, vous ne valez pas grand-chose.

Il m’est arrivé d’être parfois trop honnête. Il y a quelques années, je participais à un événement social et un collègue m’a demandé de prendre une photo de lui et de sa femme. J’ai pris son téléphone pour prendre une petite photo, une seule, et je lui ai rendu le téléphone. Sur le chemin du retour à l’hôtel, ils ont regardé la photo et ont vite conclu que les yeux fermés et les cheveux en bataille de mon collègue ne l’avantageaient pas. Il m’a fait remarquer que mes talents de photographe laissaient à désirer et j’ai simplement répondu : « L’appareil photo ne ment pas ». Il était sous le choc et elle était blessée. Mes efforts pour éviter son commentaire furent au détriment de la dignité de sa femme. Si je savais que l’honnêteté est la meilleure stratégie, je n’avais manifestement pas compris qu’il était bien mieux de faire preuve de délicatesse.

Je ne prétends pas être un ange, et je suis parfois tenté de balancer une petite pique pour rendre la discussion un peu plus facile, du moins à court terme. Alors pourquoi est-ce que je vous raconte tout cela? En principe, nous savons tous depuis l’école primaire qu’il vaut mieux dire la vérité. Cependant, nous vivons dans un monde complexe et vous détenez sans aucun doute des connaissances sur un sujet, quel qu’il soit, que d’autres n’ont pas et qui leur sont nécessaires. Nous entendons régulièrement des

politiciens, des journalistes, des collègues de l’industrie, des voisins et des membres de la famille nous dire des choses biaisées, teintées d’une vision favorable orientée vers le résultat escompté, quitte à ce que ce soit au détriment de quelqu’un d’autre. Ou de bien d’autres. Plusieurs discussions sont marquées par l’absence de faits, un discours exacerbé et une absence d’analyse.

Nous devons être au-dessus de cela. Si nous voulons vraiment rendre le monde meilleur ou simplement traiter les gens avec respect, il faut commencer par être honnête.

Nous en sortirons tous grandis.

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