Les événements qui m’ont fait changer d’avis

EIN 21 Sones 125

1-avril-2022

Keith Sones

1977. 2001. 2009. 2012.

5 EIN 21 Sones 400Il ne s’agit pas de numéros de loterie stratégiques, d’adresses civiques ou de questions mathématiques sur Internet du type « Trouvez le nombre qui complète la série ». Ils ne signifieront rien pour vous, même si j’espère bien que cela changera à mesure que vous lirez les prochains paragraphes. Pour moi, ils représentent quelque chose d’extrêmement important et instructif. En fait, je pourrais même dire sans exagérer qu’ils ont changé ma vie.

Il s’agit des années où j’ai changé d’avis. Ces événements varient d’un changement de point de vue modéré à un virage à 180° de mon opinion. Mais bon, je suis assez énigmatique en ce moment. Permettez-moi de vous fournir quelques explications.

La première fois – 1977.

À l’âge de 12 ans, militant en herbe, j’ai organisé une grève étudiante. Comme la plupart des enfants de notre âge, nous n’étions pas enchantés d’être coincés dans une salle de classe par une journée ensoleillée. Nous réfléchissions aussi avec nos estomacs. Une fois par mois, l’école organisait un repas de hot dogs et de lait au chocolat pour tous les élèves, ce qui remportait un franc succès pour des raisons évidentes. En faisant appel au fantôme de Mahatma Gandhi, j’ai réussi à convaincre toute ma classe de 7e année de débrayer, leur esprit enflammé par l’idée que si nous étions assez énergiques, nous pourrions obtenir cinq minutes supplémentaires de récréation le matin ET un second vendredi de hot dogs par mois. Armés de pancartes faites à la main et remplis d’optimisme, nous avons marché dans le corridor jusqu’au secrétariat de l’école à la recherche du directeur, formant un groupe en colère prêt à faire valoir nos revendications.

Comme porte-parole des élèves, je fus ravi d’obtenir un entretien avec le directeur de l’école, un homme d’une cinquantaine d’années. Ce dernier a suggéré que nous allions dans son bureau où ce serait plus « calme ». J’avais l’air confiant et quelques-uns de mes camarades de classe ont applaudi lorsque l’homme plus âgé et le jeune manifestant que j’étais se sont retirés derrière des portes closes. Je me suis assis sur la chaise réservée aux visiteurs tandis qu’il prenait place derrière le grand bureau en bois avec un léger sourire aux lèvres.

« Alors Keith, qu’est-ce que toi et la classe voulez? » Rapidement et avec enthousiasme, je me suis empressé de dire ce que nous, ou peut-être que c’était juste moi, avions défini comme étant nos exigences. Un dîner de plus et une récréation plus longue, ai-je déclaré avec détermination.

« Je ne peux rien faire pour la durée de la récréation », a-t-il répondu calmement. « C’est la commission scolaire qui décide ».

« Oui, mais c’est vous le responsable ici », ai-je répondu sur la défensive, m’appuyant sur ma vision enfantine du fonctionnement du monde. « Vous pouvez simplement changer les choses ».

« Je suis désolé Keith, je ne suis pas autorisé à faire ça ». Sa réponse solennelle a dû éteindre la moindre étincelle dans mes yeux et je suis convaincu que j’avais l’air d’un chiot effrayé. En un instant, une nouvelle réalité m’est apparue. J’avais quasiment assuré à mes camarades de classe que nous allions réussir et il était maintenant clair que ce ne serait pas le cas. Qu’allais-je leur dire?

« Je suis curieux » a-t-il ajouté. « Pourquoi as-tu choisi une autre journée de dîner hot dogs? Pourquoi ne pas avoir choisi quelque chose de plus ambitieux, comme plus de jours de sport ou d’après-midis cinéma? », nommant quelques-unes des activités préférées des élèves.

J’ai cligné des yeux et répondu avec sincérité : « Certains enfants n’ont pas de quoi manger et cela les aiderait un peu ». Nous vivions dans un quartier relativement pauvre et, à ce moment-là, j’avais abandonné tout espoir d’un quelconque dénouement satisfaisant, je fus donc surpris lorsqu’après quelques minutes de réflexion, il ait déclaré : « D’accord, nous pouvons faire ça ». J’ai levé les yeux vers lui envahit par un mélange d’émotions : confusion, bonheur, soulagement, inquiétude. Sachant ce que je ressentais et ayant une longueur d’avance sur moi, il m’a alors fait la proposition suivante : « Il y a un groupe d’élèves à l’extérieur qui va bientôt s’agiter. Veux-tu que nous leur annoncions ce que nous avons décidé ensemble? »

J’ai hoché la tête énergiquement en disant « oui, s’il vous plaît », prenant soudain conscience que je ne voulais vraiment pas avoir à leur annoncer que j’avais échoué dans ma quête d’une récréation matinale plus longue. Nous nous sommes levés et il a ouvert la porte pour moi. Après une brève annonce, certains de mes collègues ont applaudi les hot dogs, d’autres ont hué les résultats. C’était difficile de ne pas avoir obtenu tout ce que nous voulions, mais quand le vendredi est arrivé et que j’ai vu les sourires sur les visages de certains camarades moins fortunés qui auraient eu faim autrement, je me suis senti plutôt bien.

Leçons apprises :

· Les adversaires ne sont pas des ennemis, mais simplement des personnes avec un point de vue différent qui occupent des fonctions différentes;

· Une foule déchaînée n’est pas forcément synonyme de succès;

· L’honnêteté vous aide à trouver un terrain d’entente avec votre adversaire.

Changer d’avis – modéré. Échelle de 1 à 10 : 4

Les choses prennent forme – 2001.

Cette fois, il s’agissait d’une véritable grève. J’étais maintenant du côté de la direction alors que le syndicat dressait la ligne de piquetage avec une série de demandes familières. De l’argent. Du temps libre. Des avantages sociaux. Les habituelles questions. Bien qu’il n’y ait eu aucun problème majeur, le syndicat s’est entêté aussi fermement que nous et le conflit s’est prolongé. Au fil du temps et sans surprise, les tensions entre les deux parties se sont intensifiées. Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai dû conduire un gros camion nacelle à travers une ligne de piquetage et que ces employés que je considérais comme mes amis étaient tout sauf des amis. Il a fallu beaucoup de discussions animées pour passer au travers. Les rumeurs de magouilles allaient bon train. Des informateurs payés. Des téléphones sur écoute. Vous pouvez laisser libre cours à votre imagination. Toujours responsable de l’exploitation d’un réseau électrique, les journées étaient excessivement longues et j’étais au bord de l’épuisement. La rhétorique était intense, j’étais éperdument fatigué. Je n’en pouvais plus, j’avais l’impression que la grève allait s’éterniser.

Mais ce ne fut pas le cas. Après quelques mois, le calme est revenu et une entente a été conclue. Nous avons repris le cours de nos vies, malgré des relations quelque peu amochées. La vie continuait.

Leçons apprises :

· Même si vous pensez que les mauvais moments dureront éternellement, ce n’est jamais le cas;

· Il y a toujours une solution à un problème, même lorsque vous croyez qu’il n’y en a pas.

Changer d’avis – enrichissant. Échelle de 1 à 10 : 6

J’ai raison, non? – 2009.

Nous étions en pleine période d’élections provinciales. En Colombie-Britannique, la course à la chefferie se jouaient entre le Parti libéral, en l’occurrence un groupe de droite favorable aux entreprises, et les néo-démocrates qui affirmaient parler au nom de « monsieur tout le monde », le choix de la classe ouvrière. Oubliez les noms des partis et vous retrouverez cette même confrontation gauche-droite dans la plupart des pays industrialisés.

J’avais toujours voté pour le même « camp » à chaque élection fédérale, provinciale et municipale depuis que j’étais en droit de voter. En fait, j’étais le fils de mes parents et je votais comme eux à chaque fois. Ils étaient, tout comme moi maintenant, du côté des anges, le vote était aussi clair qu’une vitre neuve. Mais pour une raison que j’ignore encore à ce jour, j’ai fait quelque chose d’inhabituel au cours de la période précédant cette élection. J’ai pris le temps d’écouter les deux parties. De manière impartiale. Il se peut qu’en vieillissant et à mesure que les impôts augmentaient, j’avais plus à gagner ou à perdre. Il est possible que ce soit à cause de la série de « scandales » politiques qui ont éclaboussé les deux camps ces dernières années. Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que j’ai creusé comme un furet dans le passé des deux partis. Qu’avaient-ils dit avant les élections, puis qu’ont-ils fait une fois au pouvoir? Quelle était la réputation des candidats locaux? Ont-ils de gros squelettes dans le placard? Cela s’est avéré beaucoup plus difficile que prévu, car il m’est vite apparu qu’aucun parti n’avait le monopole de la vérité ou des promesses non tenues. J’ai donc fait de mon mieux, comme s’il s’agissait d’une expérience scientifique universitaire.

Une fois les résultats connus, un seul choix était possible pour moi. En fait, j’en avais deux. J’aurais pu décider de ne pas tenir compte des résultats, ce que j’avais toujours fait par souci de transparence, ou je pouvais les accepter.

Maintenant, si vous êtes le genre de personne qui passe d’un candidat à l’autre et d’un parti à l’autre à chaque élection, le fameux électeur flottant, vous vous dites probablement « quel est le problème? ». Mais ce n’est pas mon cas. Mon profil politique était gravé de manière indélébile dans mon cerveau, comme la marque sur la vache d’un éleveur. Depuis toujours. J’avais fait campagne pour eux, brandi des pancartes, participé à des envois de lettres. Je me souviens très bien de ce soir-là dans l’isoloir, regardant le bulletin de vote devant moi, le nom et le parti traditionnels me disant « mets ton X ici ». Je pouvais entendre la voix de ma mère, de mon père, de mes grands-parents, de mes tantes, de mes oncles et d’autres personnes qui me poussaient, inconsciemment mais fortement, à voter pour le candidat de leur choix, celui de notre famille, depuis des dizaines d’années et de générations.

J’ai éprouvé une douleur viscérale lorsque j’ai voté pour l’autre candidat.

Sur le coup et pendant un certain temps, je me suis senti comme un traître. Je m’attendais vraiment à être excommunié de la famille en raison de mon choix. Mais j’avais un point en ma faveur. C’était mon choix et les résultats de mes recherches avaient révélé la profonde hypocrisie qui régnait dans le camp du parti de ma famille, ce qui m’a indiqué clairement le chemin à suivre. Et c’est toujours le cas.

Leçons apprises :

· Réfléchir de manière critique à quelque chose peut vous sortir de votre léthargie mentale;

· Il est difficile de faire des choix impopulaires, et lorsqu’ils vont à l’encontre d’une profonde conviction familiale, c’est encore plus difficile. Mais je dois suivre ma propre conscience.

Changer d’avis – remarquable. Échelle de 1 à 10 : 8,5

Il s’agit maintenant d’une affaire personnelle – 2012.

Comme la plupart d’entre vous, j’ai et j’ai toujours eu des convictions assez profondes concernant nos origines, le fonctionnement de l’univers, ce qui est moralement bien ou mal et ce qui nous attend après notre départ de cette terre. Ces opinions sont le fruit de l’éducation, de la communauté, de la littérature et du besoin profond de sentir que je fais partie de quelque chose de plus grand que moi-même. Au cours de ma vie, je me suis qualifié à plusieurs reprises de spirituel, de religieux, d’agnostique et d’évangélique. L’étiquette que je m’accolais à l’époque était fonction de divers événements survenus dans ma vie, de mon niveau de maturité et de la justesse avec laquelle je pouvais concilier ce que j’observais autour de moi et les enseignements dont je bénéficiais. Mais en dépit de ma tendance à emprunter des voies différentes, j’étais assez à l’aise avec mes croyances fondamentales. Si mes opinions politiques étaient gravées dans mon cerveau, ma foi était tatouée dans mon âme.

J’aurais dû laisser tomber. Arrêter de remettre les choses en question. Honnêtement, c’est plus facile comme ça. Accepter les choses comme elles sont, c’est comme s’envelopper dans une couverture tissée d’un mélange de familiarité et de confort. Cela répond au besoin de faire partie de quelque chose de plus grand et étanche la soif d’acceptation et de collectivité. J’aurais dû continuer comme ça.

Mais ce n’est pas ce que je suis devenu. Une fois encore, après mûre réflexion, analyse et observation, j’ai fait l’impensable.

J’ai rejeté mon système de croyances et me suis lancé dans la quête d’un nouveau système.

Il ne m’était désormais plus possible rationnellement de mettre en perspective ce que je voyais se produire dans le monde et la sagesse ancestrale inculquée dans mon éducation. Je ne suis qu’une personne dans un monde qui en compte des milliards, et je suis bien moins perspicace que des milliers d’autres, vivants ou décédés. Mais je réfléchis beaucoup et j’ai l’esprit vif. Les choses doivent avoir un sens pour moi avant d’y croire.

Imaginez un combat épique entre deux titans. Un combat à mort. Les deux sont bien armés, puissants et invincibles, ils croient fermement en leur cause. Le combat est intense, les deux sont férocement déterminés à gagner. Mais bien entendu, un seul peut l’emporter. En fait, un seul survivra. L’autre mourra. Imaginez maintenant que celui qui meurt est celui sur lequel vous aviez misé.

C’est là le combat auquel je me suis d’abord livré dans mon esprit, puis avec ma famille et ensuite avec ma communauté. C’était, et c’est toujours, incroyablement douloureux. En fait, c’est la chose la plus difficile que j’aie jamais vécue. Peut-être le plus important défi auquel j’aurai à faire face ici-bas. Mais une fois la poussière retombée, cela devait se produire.

Les leçons apprises :

· Voir ci-dessous

Changement de mentalité – tectonique. Échelle de 1 à 10 : 11

Dans la séquence d’événements décrite ici, les résultats ne sont pas surprenants lorsqu’on applique les principes de la pensée critique qui consiste à remettre en question ses propres opinions pour en vérifier la légitimité. C’est gratifiant de passer par ce processus et de réaliser que vous avez fait le meilleur choix pour vous. Ce choix peut très bien être différent de celui de votre ami, de votre voisin, de votre conjoint ou de votre collègue de travail. Nous devons nous attendre à des divergences d’opinion et, en fait, les célébrer. Toute découverte sociale et scientifique monumentale (qui est une excellente chose) est le résultat de débats sains, parfois animés, souvent de longue haleine, mais toujours enrichissants. Nous ne sommes rien de plus qu’un point sur la ligne chronologique de l’histoire de l’humanité. Nous sommes un projet en cours. Nous n’avons pas encore terminé. Alors, qu’ai-je appris?

Se questionner sur la raison pour laquelle nous croyons en quelque chose vaut la peine. Peut-être avez-vous raison, et peut-être avez-vous tort. Mais tant que vous ne vous posez pas la question, vous ne pouvez pas savoir;

· Changer d’avis, que ce soit modérément ou substantiellement, c’est évoluer sur le plan personnel, à condition que ce soit à votre rythme et suite à un véritable questionnement;

· Lorsque quelqu’un vous dit qu’il a toutes les réponses, que la science est irréfutable, que ses opinions sont absolues… je vous assure qu’il a tort.

Se remettre en question, remettre en question sa vision du monde, c’est difficile, voire douloureux. Nous avons tous accepté certaines vérités sur nous et certaines croyances sur le monde qui nous semblent indiscutables. Mais réfléchissez-y un instant.

Et si vous aviez tort?

Et si vous avez misé sur quelque chose que l’histoire révélera plus tard être faux? Et que vous auriez pu le savoir à ce moment précis, si vous vous étiez seulement posé quelques questions. Comment vous sentiriez-vous?

Est-ce que je changerai d’avis sur d’importants sujets au bout d’un moment?

Je l’espère. Je ne veux pas croire qu’à 58 ans (ou presque), je sais tout.

 

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