Avertissement : cet article comporte du contenu explicite nécessaire pour valider ma précieuse leçon de vie. Les lecteurs sont priés d’en prendre note.

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EIN 21 Sones 400Keith Sones

10 août 2020

L’une des déclarations les plus banales, anodines et quasi ennuyeuses qu’une personne de la classe moyenne puisse faire dans la société occidentale est « J’ai rendez-vous chez le dentiste ». Parmi les meilleures on retrouve : « Je dois aller faire l’épicerie » et « Je sors promener le chien ». Cela n’incite personne à changer sa vie et ce n’est pas non plus un appel à l’action de quelque nature que ce soit. C’est une annonce banale que l’auditeur oubliera dès qu’elle franchira les lèvres de son interlocuteur.

Mais parfois, des choses simples ont une signification plus profonde et il arrive qu’une modeste déclaration soit en fait le signe d’un retour triomphal, l’achèvement d’un parcours bien plus enrichissant et gratifiant qu’il n’y paraît à première vue. Comme lorsque vous remarquez cette voisine, que vous n’avez pas vue depuis un certain temps, qui arrive chez elle en voiture et qui semble revenir de faire des courses, alors qu’en fait elle vient de rentrer de son dernier traitement contre le cancer et qu’elle a été déclarée saine. Ou votre collègue de travail qui vous dit qu’il aimerait bien prendre un café avec vous mais doit filer à son cours du soir. Vous vous sentez un peu déphasé, alors qu’il est sur le point d’obtenir son doctorat après avoir soutenu sa thèse avec succès.

Vous voyez la banalité, ils voient la liberté et la récompense. Vous ne pouvez pas penser autrement à moins d’entendre l’histoire sous-jacente et de comprendre vraiment pourquoi quelque chose qui semble si insignifiant est en fait si important.

Donc, au moment où j’écris ces lignes, j’ai rendez-vous chez le dentiste aujourd’hui. Et ce sera la première fois que j’y vais en 11 ans.

Ne me prenez pas pour quelqu’un de négligent, ou quelqu’un qui se soucie peu de sa propre santé. En fait, j’ai de très bonnes habitudes d’hygiène dentaire. Vous pourriez m’appeler le roi du fil dentaire, le maestro du bain de bouche et le maître du brossage et vous auriez raison sur tous les points. C’est simplement que je n’ai pas fréquenté de clinique dentaire depuis plus de dix ans. J’ai une raison et, grâce à ce processus, j’ai appris quelque chose d’extrêmement important à la fois sur moi-même et sur le monde dans lequel nous vivons. Mais je vais un peu trop vite.

Avant d’avoir franchi la période de notre vie où nous nous disions « je n’ai pas d’argent, un emploi temporaire minable et peu de perspectives », ma femme, mes enfants et moi avons fait partie intégrante de la classe moyenne. C’est sans aucun doute le stéréotype, quasiment la tête d’affiche. Vivre dans une maison standard de deux étages, une voiture dans l’allée, une facture d’hypothèque dans le courrier, emmener les enfants à l’entraînement de soccer, aller au travail, tondre la pelouse. Et de temps en temps, aller chez le dentiste. Il n’y avait aucun problème orthodontique majeur, les soins de base tout simplement. Un nettoyage tous les deux ou trois mois, la carie bizarre qui apparaissait et qui était rapidement réparée et une visite de la fée des dents quand les enfants étaient plus jeunes et qu’ils avaient perdu une incisive. 

Il y a cependant une chose qui est apparue très tôt. Mon fils n’aimait pas les aiguilles, du genre de celles que le dentiste utilise pour geler les gencives avant de faire des travaux sur ses dents. Il ne les aimait vraiment pas. Lorsqu’il était petit, il avait une carie qui devait être obturée et il a choisi que le travail soit fait sans anesthésie! Aujourd’hui, il existe un processus pour cela, en particulier auprès des enfants, où le dentiste évalue si c’est la bonne chose à faire. Je ne veux pas que vous pensiez que j’ai laissé un maniaque avec une perceuse attaquer mon fils. Mais une fois que tout a été dit et fait, il a dit qu’il préférait se faire percer une dent sans aucun anesthésique que de se faire injecter un peu d’antidouleur anesthésiant dans la gencive. D’accord, c’était à lui de décider. (P.S. : il a changé d’avis depuis).

Maintenant, rien de tout cela n’est pertinent pour l’histoire et la leçon que j’ai apprise, sauf que quelque part, l’équipe dentaire a pris son dossier médical, ce dossier marron clair qui est empilé avec des centaines d’autres dans le bureau et a écrit « anesthésie refusée par le patient, procédures effectuées sans anesthésie ». Avec son nom. C’est une bonne pratique administrative de conserver cette information au dossier, mais cela engendre parfois des effets indésirables.

Mon propre historique dentaire est également assez simple. Enfant, je me rendais régulièrement chez le dentiste, je n’ai eu aucune carie jusqu’à la fin de l’adolescence et j’avais des dents génétiquement très solides. Hélas, plus tard, l’os de ma mâchoire a commencé à se carier, ce qui était apparemment aussi une caractéristique génétique. On fait contre mauvaise fortune, bon cœur, j’imagine. Quoi qu’il en soit, le fait d’avoir des hachoirs solides sans os pour les soutenir ne semblait pas très positif; je me voyais comme un vieil homme qui avale sa purée de carottes tout en portant fièrement un collier de belles dents. Alors à l’âge adulte, mon dentiste m’a recommandé de consulter un spécialiste qui m’aiderait à ralentir la perte osseuse.  D’accord, c’est vous l’expert, je me suis dit. Allons-y.

Environ un mois plus tard, je suis arrivé au cabinet du chirurgien-dentiste où il n’y avait rien d’exceptionnel. Une réceptionniste d’âge moyen, des étagères pleines de dossiers, quelques chaises dans la salle d’attente regroupées autour d’une petite table parsemée de magazines périmés et quelques certificats encadrés au mur attestant que l’occupant était très intelligent. J’éprouvais un certain réconfort de savoir que la personne qui allait pratiquer l’opération avait plus de lettres après son nom que je n’en avais dans le mien; plusieurs attestations allaient sûrement favoriser une intervention rapide et réussie.

On m’a conduit à l’arrière, on m’a remis une jaquette à enfiler et on m’a ensuite présenté à l’équipe de trois personnes qui allait me traiter. Nous avons eu une petite conversation pendant que le médecin parcourait mon dossier d’un œil sceptique, regardant les documents dans le dossier comme s’il s’agissait de la copie originale de la Grande Charte. Elle m’a regardé, le visage terne et m’a demandé avec un air maussade : « Alors, vous ne prendrez pas l’anesthésie? ». Lors de la prise de rendez-vous, on m’avait demandé si je voulais payer un supplément pour être complètement sous sédatif; assommé comme si je recevais un crochet du droit de Mike Tyson. J’avais refusé, en précisant que le produit standard me conviendrait. Réveillé mais engourdi.

Pour préparer le terrain, la procédure prévoyait de me meuler les dents pour que les gencives se fixent correctement contre elles. Physiquement, les gencives devaient être coupées et retirées pour exposer les surfaces supérieures des dents. Le médecin meulait ensuite les crêtes de mes dents et remettait les gencives en place. Cette procédure s’effectuerait sur les dents supérieures et inférieures, à l’intérieur et à l’extérieur.

Alors, fins prêts à commencer, une tente en caoutchouc de la taille d’un hôpital de campagne de l’armée installée dans ma bouche, ils se sont mis au travail.

Sans aucun anesthésiant. Aucun engourdissement, aucun analgésique. Juste une personne masquée brandissant un scalpel et une meuleuse, et moi.

Au moment de la première coupure, la douleur était terrible, mais elle était sur le point d’empirer. Une fois les gencives retirées, c’était horrible. Ma tête tournait et au cours des minutes qui ont suivi, je me suis évanoui au moins deux fois. Cependant, lors d’une rétrospective à tête reposée, le pire de tout a été mon processus de pensée. Compte tenu que j’étais entre les mains de professionnels, j’ai assumé que tout cela était normal. Que l’agonie était acceptable. Peut-être étais-je trop pleurnichard pour supporter ce que d’autres devaient subir. Peut-être que je n’avais qu’une faible tolérance à la douleur. À aucun moment, il ne m’est venu à l’esprit de faire la chose la plus évidente et la plus importante : leur dire d’arrêter. 

Je me souviens à peine avoir quitté le bureau, la bouche enflée et ensanglantée. Il est impossible que j’aie pu conduire les 60 km jusqu’à la maison sans période de récupération, mais dans un accès d’ironie, on m’a dit que je pouvais y aller puisque je n’étais pas affecté par l’anesthésie. La vie peut être cruelle. 

Des semaines plus tard, j’ai commencé à me demander pourquoi les choses s’étaient passées ainsi. J’avais besoin de réponses à mes questions. Étais-je simplement plus faible que le patient moyen? Je me demandais si cette procédure était courante même si j’étais convaincu que celle-ci violait assurément la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers. Il fallait vraiment que quelque chose change afin d’améliorer le processus.

Vous vous souvenez de mon fils, celui qui n’aimait pas les aiguilles? La note sur son dossier a été transférée d’une manière quelconque à mon dossier dentaire et soumise au cabinet du spécialiste. « anesthésie refusée par le patient, procédures effectuées sans anesthésie ». L’intention était de satisfaire un enfant qui se faisait obturer une petite carie et cette information s’est retrouvée d’une manière quelconque comme étant appropriée pour un adulte subissant une chirurgie semi-invasive. Est-il possible que cela puisse se produire au sein d’un groupe de professionnels? Détrompez-vous. J’étais en colère lorsque j’ai découvert le pot aux roses. Je suis toujours hanté par les souvenirs de la douleur, mais je suis encore en colère contre moi-même. J’ai eu toutes les occasions de protester, de battre en retraite et de m’opposer au traitement ce jour-là et je n’ai rien fait. 

Pourquoi? La réponse complète est probablement plus complexe que ma simplification exagérée, mais mon analyse ne m’amène qu’à une seule conclusion. J’avais été, et dans une certaine mesure je suis encore, conditionné à accepter les choses, envers et contre tout. Si quelqu’un m’avait dit qu’il avait l’intention de m’ouvrir la bouche et de m’attaquer avec un broyeur, je lui aurais dit « certainement pas ». Je me serais défendu avec vigueur. Pourtant, entre les mains d’un « professionnel », quelqu’un dont le bureau était tapissé de diplômes et de certificats « voyez comme je suis génial », je leur ai permis de me faire si mal que je me suis évanoui. 

Cela m’a donc incité à réfléchir davantage. À quoi d’autre ai-je été formé à accepter? La liste était longue et déprimante, mais à la fois révélatrice. Il y a des années, la liberté académique s’est traduite par un débat sain sur les questions, toutes les opinions étaient présentées et prises en considération. Aujourd’hui, une foule de médias sociaux peut faire congédier une personne qui a simplement une voix dissidente. Les opinions politiques étaient également présentées afin d’être débattues et discutées, parfois de manière enflammée et passionnée, mais avec une ouverture d’esprit. De nos jours, un camp se verra accorder la majorité du temps d’antenne, l’autre peu ou pas du tout. Une association professionnelle pourrait dissimuler la mauvaise conduite d’un membre simplement parce qu’il est plus facile de ne rien faire que de faire ce qui est juste, avec pour résultat que d’autres souffriront aux mains de ce médecin, ce gestionnaire des ressources humaines, cet ingénieur, ce pompier ou ce fonctionnaire.

Ma réflexion était probablement bonne à long terme, alors je devrais peut-être remercier la macabre série d’événements dentaires et les participants. Depuis ce temps, j’ai aidé ceux qui en avaient besoin à exprimer leurs préoccupations, à se battre pour une bonne cause, à évaluer objectivement une situation. Ça n’a pas toujours bien fonctionné et cela n’a rien changé la plupart du temps. Il y a cependant il y a eu des victoires. L’amélioration prend du temps et la plupart des votes vont généralement au statu quo. Mais rien ne change sans un catalyseur.

Quels sont vos points faibles? Qu’avez-vous été conditionné à accepter sans réfléchir et qui peut vous nuire ou nuire aux autres, mais que vous faites tout de même? Devriez-vous continuer à l’accepter? Peut-être. Ou peut-être pas. Il est difficile de défier et encore plus difficile de maintenir cette position. Mais sans ceux qui nous ont précédés, nous serions encore sous la tyrannie d’un système féodal. Sans ceux d’entre nous qui sont prêts à débattre, à réfléchir, à prendre en considération et à réévaluer, notre situation ne ferait qu’empirer. Par notre manque d’action et de débat, nous pourrions bien être en train de préparer la chute de quelqu’un. Y compris nous-mêmes.

Alors, réfléchissez. Puisque le monde qui nous entoure change et stagne et que la prévisibilité a été remplacée par l’incertitude, il n’y aura peut-être jamais de meilleur moment pour partager de nouvelles idées. Vos idées. Ne soyez pas gênés par les conventions ou par ce mantra qui étouffe la plupart des innovations « c’est toujours comme ça que nous le faisons ».

Alors, après plus de dix ans, je donnerai une autre chance à la dentisterie. À mes conditions cette fois-ci.

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